La première monnaie locale de France à Lignières il y a soixante ans. Et une autre l’an prochain !

Blason Lignières

2016 sera le soixantième anniversaire de la première expérience de monnaie locale en France, et c’était dans la ”Commune libre de Lignières en Berry”. Et maintenant, voilà qu’une association veut recommencer en créant une monnaie locale dans le Cher …et l’annonce sera faite à Lignières, justement. Mais commençons par le commencement…

> Au début des années cinquante, Lignières sommeille, piétine… Le dernier prisonnier de guerre est rentré depuis déjà longtemps, mais tandis que d’autres villes se redressent, Lignières semble végéter. En 1956, le bourg compte mille sept cents soixante quinze habitants, alors qu’il en avait trois mille en 1900. Les artisans cherchent des commandes, les ouvriers cherchent du travail, l’immobilier stagne, l’eau courante n’arrive pas dans toutes les maisons, les jeunes vont chercher fortune ailleurs.

Refusant la léthargie qui gagne leur ville, Pierre Tournadre (horloger), et Georges Lardeau (directeur du cinéma), veulent que Lignières se redresse ! Ils se heurtent à une municipalité vieillissante et à un maire “indétrônable”, ils constatent que toutes les idées nouvelles sont rejetées sans examen. C’est ainsi que va germer peu à peu leur folle idée de relancer une économie intra-muros !  

C’est dans ces conditions d’esprit frondeur que le 26 avril 1956 est déclarée au “Journal Officiel” la “Commune libre de Lignières en Berry” (aucune loi ne régit les communes libres qui s’administrent …librement). Les deux compères ouvrent une mairie dans un des commerces abandonnés de la Grande-Rue, Pierre Tournadre est maire et Georges Lardeau, secrétaire. L’aventure commence ! 

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Décidés à faire redémarrer l'activité économique, Tournadre et Lardeau distribuent gratuitement des bons de ristourne les jours de foire et les lundis de marché. Pour un achat de cent francs, on gagne un bon de cinq francs. “Le procédé avait l’avantage de faire rester à Lignières l’argent des Lignièrois. Il avait également l’inconvénient - et ses promoteurs s’en rendirent compte très rapidement – de pouvoir être gardé et rangé dans un tiroir en compagnie d’autres bons. Le même inconvénient que présentaient les billets de la Banque de France gagnés à force de travail et de peine, et qui servaient aux paysans non à obtenir quelque bien-être, mais à constituer un bas de laine… “ (Journal “La Vie”) 

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Sur les conseils d’un ancien joaillier, Soriano (qui s’inspirait des théories de Silvio Gesell, inventeur de la monnaie franche), ils introduisent des bons d'achats, qui ont la particularité de se déprécier une fois par mois, afin d'encourager leur circulation dans l'économie locale et de stimuler les échanges économiques.  Au dos des bons d’achat, douze cases ou l’on colle, le 10 de chaque mois, un timbre de 1 %  de la valeur du bon. Cette monnaie est ce qu’on appelle de nos jours une “monnaie fondante” qui perd de sa valeur chaque mois par cette “taxe” de 1 % contre l’inertie. En effet, comme le disait Soriano : “plus l’argent circule plus la prospérité est grande”. Au dos des bons d’achats, la devise de Jacques Cœur : “A cœur vaillant, rien d’impossible”. Pas de doute, on est bien en Berry ! 

Pour le coup, les bons d’achat marchent… et même ils courent, écrit Romain Personnat dans “Les mangeurs de grenouilles” ! “La méfiance des villageois aidant : à l’approche du 10, en effet, c’est à qui se débarrassera des bons, afin de ne pas y apposer le timbre de 1 % et les réintroduira dans le circuit. De plus c’est une monnaie inhabituelle et, de crainte qu’elle  cesse brutalement d’être valable, on s’en débarrasse rapidement. Ainsi, l’argent tourne, change de mains, achète le produit des usines et du travail de l’homme” (“La Vie”). Dans la ville, malgré un certain scepticisme, on joue le jeu. Et heureusement, quelques commerçants acceptent cette monnaie parallèle : le pâtissier, la libraire, le cordonnier, sont les premiers… Puis des fermiers adhérent au système et acceptent les bons en paiement de leurs fournitures, cochons, oeufs, volailles, lait, et les réemploient pour régler leurs achats en ville. Les transactions s’accélèrent. Ainsi, on cite le cas d'un bon de trois cent francs revenant chez le  même commerçant trois fois en deux heures.

Les bons naviguent. Une nouvelle économie locale est lancée, et bientôt cinquante mille francs de bons circulent chaque jour ! La légende veut que le premier bon ait été donné à l’église, à la quête du dimanche ! L’association offre même un livret de Caisse d’Epargne aux jeunes ménages, et à chaque naissance.

“Il est à remarquer que cette entreprise donne entière satisfaction, et nous sommes en droit de penser que grâce à ce système ingénieux nos foires et nos marchés vont connaître un renouveau que tout le monde attend. Il nous semble que si les habitants de notre cité veulent bien suivre les conseils qui leur ont été prodigués, le temps n’est plus éloigné où nous verrons une grande prospérité naître dans notre ville” écrit Le Berry-Républicain du 19 juillet 1956.

La belle aventure durera deux années. La Banque de France s’inquiète du succès de cette initiative et envoie la Police Judiciaire en 1957 pour une enquête car “l’État seul a le droit de frapper monnaie”. Les inspecteurs repartent comme ils étaient venus, sans trouver rien d'illégal, les bons étant couverts par un dépôt en banque. Mais à la fin, les hautes instances de l’Économie mettent les pieds dans le plat pour que s’arrête cette monnaie parallèle ! Explication de Georges Lardeau : “Cela marchait trop bien et le gouvernement français avait peur que l’expérience ne fasse des émules”

> Depuis, une centaine de monnaies locales ont été créées un peu partout en France. On peut citer : l'abeille, à Villeneuve-sur-Lot; la beunèze, en Saintonge; le bou’Sol, à Boulogne-sur-Mer; la gentiane, à Annecy; l'eusko, au pays Basque;  la gonette, à Lyon; le stück, à Strasbourg; le radis, à Ungersheim; la mesure, à Romans-sur-Isère; l’abeille dans le Lot; la miel, en Gironde; l’elef à Chambéry …etc. …etc.… 

> Mais que veulent les initiateurs de ces monnaies ? Renforcer le lien social à travers les échanges. Favoriser la consommation locale par des circuits courts de proximité et de qualité. Favoriser l’initiative, l’autonomie et la responsabilité entrepreneuriale. Favoriser l’appropriation de l’usage de la monnaie par le citoyen, comme outil économique, comme moyen pour comprendre sa vraie nature, pour donner du sens à son usage. Refuser la spéculation. Et tout ça, bien entendu, coexiste avec l’euro ! Ces principes sont établis dans un Manifeste pour les monnaies locales du 18 mai 2013, et un réseau national qui organise le Séminaire des monnaies locales de France au printemps 2016. 

> Bon, et à Lignières, que va-t-il se passer ? Une conférence avec film et la participation de Philippe Derudder, spécialiste renommé des monnaies locales, mardi 10 novembre à 20 heures, à Lignières. Salle du manège. Philippe Derudder anime l’Association internationale pour le soutien aux économies sociétales (AISES), dont le but est de promouvoir les recherches et actions pour le développement d’économies au service de l’homme et de l’équilibre écologique. Il anime des conférences et des séminaires sur l’économie alternative, les monnaies complémentaires, et la réforme du système monétaire. 

Si tout va selon les prévisions des organisateurs, la naissance de la monnaie locale complémentaire du Berry sera annoncée lors des Rencontre nationale des monnaies locales les 14,15 et 16 mai 2016 à Lignières. Ces rencontres. qui réuniront les représentants d’une centaine de monnaies locales, se tiendront dans la ville où la première monnaie locale de France fut créée, il y a soixante ans. Ce sera l’occasion d’en célébrer dignement l’anniversaire ! On suivra les développements de ce projet original et innovant avec intérêt.

> Pour tout savoir. “1956 - Première monnaie locale complémentaire en France. 2015 - On recommence !” Conférence avec film de Philippe Derudder, spécialiste renommé des monnaies locales. Mardi 10 novembre à 20 heures. Salle du manège, au pôle du cheval, route de la celle Condé, Lignières. Entrée libre. Contact : 05 53 40 33 82 et 06 48 27 26 98. http://agirpourlevivant.org

> Extraits de “Les mangeurs de grenouilles” Romain Personnat, Science et Vie de mai 1958 et de l’article de Robert Schreiner dans Bioscope de janvier 1979. Merci à Alain Agassant pour ses précieuses informations.

> Photos de haut en bas. Blason de Lignières. Bons d’achat de la Commune libre de Lignières en Berry, années cinquante. Exemples de monnaies locales actuelles. Portrait de Philippe Derudder.

> Le site web de LA LIGNIÈRE. >>> Lien

> Pour en savoir plus sur le sujet des monnaies locales.
Wikipedia : Monnaie locale.   >>> Lien. 
Monnaies locales de France.  >>> Lien.
Monnaies locales complémentaires.  >>> Lien.

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