La Borne, grève des potiers de 1924. Les gendarmes n’avaient rien vu !

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Dans l’imaginaire collectif, le gendarme est encore associé à ses attributs traditionnels. Le personnage doit beaucoup à Georges Courteline qui créa le type populaire du “gendarme”. Caricaturé, tête de turc de la presse satirique, du café-concert ou du théâtre,  avec ses grosses moustaches, ses guêtres, son képi et son accent du midi, il est devenu un classique. Et s’il a changé de tenue, il n’a pas disparu ; chansonné par Georges Brassens, il est revenu parmi nous avec Louis De Funès et “Le gendarme de Saint-Tropez”. 

L’arrivée de la bicyclette en tant que “véhicule officiel” de la gendarmerie en 1903 (alors que les premières automobiles roulent déjà dans toute la France) confirme ce retard. Après la la première guerre mondiale la gendarmerie pédale encore, et c’est souvent à vélo que les patrouilles se déplacent….

Braves bougres, mais sans malice, les gendarmes arrivent toujours en retard, comme chacun le sait. Cette expression nous vient de l'opéra-bouffe d'Offenbach, “Les brigands”, où les gendarmes chantaient à pleine voix :
Nous sommes les carabiniers
La sécurité des foyers
Mais par un malheureux hasard
Au secours des particuliers
Nous arrivons toujours trop tard !

Mais revenons à La Borne où nous assisterons bientôt au rendez-vous manqué des potiers et des gendarmes. Enfin, on va voir avec quel retard… 

Pendant que les gendarmes délaissent le cheval pour la bicyclette, les ouvriers potiers de La Borne s’organisent. Ils ont créé leur syndicat le 12 juin 1892 nous dit Robert Chaton dans “La Borne et ses potiers”. Jean Girault en est le président, Jean-Joseph Chameron tient le carnet de cotisations et Siguret est le secrétaire. 

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Car, si le sort des ouvriers potiers de l’époque est moins dur que celui des bûcherons, il est loin d’être enviable. Les ouvriers sont payés (mal) à la pièce, les ateliers sont ouverts à tous les vents et on utilise encore le tour à bâton…. La Borne connaîtra plusieurs grèves importantes en 1910, 1924 et 1933.

C’est à l’occasion de la grève des potiers de 1924 que le destin des gendarmes les conduit à La Borne, et de façon mémorable….

En mars 1924, les ouvriers potiers demandent que leurs salaires soient augmentés de 350 % par rapport à ceux pratiqués avant 1914. Les patrons proposent 325 %. Le 1er avril, tourneurs et manœuvres commencent une grève qui durera jusqu’en août !

Mais, fidèles à leur réputation, et toujours en retard sur l’information, les gendarmes semblent dormir sur les deux oreilles.

C’est ainsi que la grève n’est signalée à la Préfecture que le 5 avril 1924. D’où une certaine irritation et une demande d’éclaircissement. 

Répondant à cette injonction dans un rapport du 6 avril, le chef de brigade d’Henrichemont Émile Vacheron, fournit de laborieuses explications à ses supérieurs… “Le retard apporté à signaler la grève des ouvriers potiers de La Borne, provient que la brigade n’avait pas connaissance de cette grève. Cette cessation de travail n’ayant donné lieu à aucune réunion ni à aucun rassemblement est passée absolument inaperçue. Les trente deux ouvriers employés dans les neuf poteries sont allés immédiatement le 1er avril, en quittant leurs ateliers, travailler au bois et ont pour ainsi dire changé simplement de patrons, sans qu’il y ait eu de chômage” (!).
En somme, les malicieux potiers de La Borne s’étant cachés dans la forêt pour poursuivre la grève de façon originale, on comprend comment ils ont échappé à la surveillance gendarmesque.

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Et, comme pour se justifier, le chef de brigade Émile Vacheron ajoute les détails suivants : “dans la soirée du 1er avril, deux gendarmes, qui sont allés en tournée dans la commune de Neuvy-Deux-Clochers et qui sont passés, à l’aller et au retour au hameau de La Borne, n’ont pas eu connaissance de la grève en question. Le chef de brigade, qui est allé en tournée dans la Commune de Neuilly-en-Sancerre et qui a passé au hameau de La Borne, n’a pas non plus eu connaissance de la grève, bien qu’il ait échangé quelques paroles avec monsieur Talbot-Leclerc, patron potier. Ce n’est que dans la matinée du 5 avril que le chef de brigade a incidemment appris la grève”

Explications jugées sans doute peu convaincantes, puisque le capitaine, commandant l’arrondissement de Sancerre, se sent obligé d”assortir sa note à la hiérarchie d’un commentaire embarrassé : “Comme le dit le chef de brigade dans son rapport, les patrons potiers ont bien vu les gendarmes en service dans les journées du 1er et 4 avril, mais ils n’ont pas cru devoir les aviser de cette grève qu’ils considéraient plutôt comme un débauchage”. “La responsabilité du chef de brigade subsiste quand même. Ce dernier devant savoir ce qui se passe dans sa circonscription et se renseigner en conséquence”. Et il ajoute : Le chef Vacheron d’Henrichemont, est animé du désir de bien faire, mais il n’a qu’une année de grade et manque d’expérience.” et il conclut en disant lui avoir fait “toutes les observations utiles pour qu’à l’avenir des faits semblables ne passent pas inaperçus”.

Et voila comment les gendarmes à bicyclette sont passés à La Borne sans se rendre compte du calme bizarre qui régnait au village.
Ah, s’ils étaient  descendus de leurs vélos pour boire un verre au café Raboin, ou simplement pour se dégourdir les jambes !


> D’après Robert Chaton et Henri Talbot, La Borne et ses potiers. (citations du livre pages 144 à 150). Disponible en téléchargement chez Amazon, Google books, Dialogues, Cultura, etc. L’édition papier de Delayance se trouve encore chez les bouquinistes.

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