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Bourges et son  paradis fiscal "de proximité".

Attac-ZFU-27-05-2013-14

Lundi 27 mai 2013 à la salle des Archives départementales, a eu lieu une conférence débat sur le thème "Zones franches et évasion fiscale" organisée par l'association Attac du Cher. C'est Ève-Marie Maniez, Présidente de Attac 18 qui a présenté les deux intervenants : Christian Flottes, membre du bureau national du syndicat "Solidaires Finances publiques" et Jean-Noël Ferraille, juriste, secrétaire de Attac 18.

Christian Flottes a exposé ce que sont les zones franches urbaines (ZFU). Créées par le gouvernement d'Alain Juppé, les zones franches urbaines (loi 96-987 du 14 novembre 1996) étaient destinées à relancer l’activité économique, à favoriser l’insertion sociale et professionnelle et à re-dynamiser les quartiers défavorisés dits "sensibles". Il en existe actuellement quatre-vingt cinq en France. Elles ont été définies selon plusieurs critères : le nombre d’habitants (au moins dix mille); le taux de chômage ;  le taux de la population de moins de vingt-cinq ans ; le taux de personnes sans diplôme, sorties du système scolaire .

Les avantages fiscaux liés aux zones franches urbaines sont accordés aux entreprises installées, créées ou qui s'y implantent. Elles doivent  compter moins de cinquante salariés à plein temps (deux mi-temps valent un plein temps) ;  un tiers de leurs salariés doit être issu de zones urbaines sensibles ; elles doivent répondre à la définition de petite entreprise (leur chiffre d’affaires hors taxes ne doit pas excéder dix millions d’euros) ; avoir une activité commerciale, libérale, artisanale ou industrielle ; leur chiffre d’affaires à l’exportation doit être inférieur à 15%. Enfin, elles ne peuvent appartenir aux secteurs de la construction automobile, de la construction navale, de la fabrication de fibres textiles artificielles ou synthétiques, de la sidérurgie, du transport routier de marchandises (déjà aidés par l'État).

Les entreprises répondant à ces conditions sont exonérées de l’impôt sur les bénéfices, de la taxe professionnelle, des charges sociales patronales pour la partie de la rémunération mensuelle des salariés inférieure à une fois et demie le SMIC, des cotisations personnelles (pour les artisans ou commerçants), de la taxe foncière pour les propriétés bâties implantées en  zone franche urbaine. Pas mal !

Les entreprises de moins de 5 salariés bénéficient des avantages fiscaux pendant cinq ans à taux plein, cinq ans à 60%, deux ans à 40%, et deux ans à 20%. Soit quatorze ans en tout. Les entreprises dont les effectifs sont supérieurs à cinq salariés bénéficient de ces exonérations pendant cinq ans à taux plein, puis un an à 60%, un an à 40% et un an à 20%. Soit huit ans en tout.

Le manque à gagner pour les collectivités territoriales et les organismes sociaux est compensé par l'État.

Précisons que les employés de ces entreprises, eux, ne bénéficient pas de conditions fiscales ou de cotisations sociales plus avantageuses que les autres salariés.

De nombreux élus et économistes ont relevé la faible efficacité des zones franches et leurs aspects négatifs (dont celui de la place des professions libérales), le Conseil économique et social a regretté dans un rapport, l’absence de bilan sur leur efficacité. Ces régimes exceptionnels coûtent à l’État (c'est à dire aux contribuables) autour de cinq cents millions d’euros par an et trente et un mille euros par emploi créé. On déplore le détournement du dispositif par des entreprises "boîtes aux lettres" qui n'ont qu'une adresse postale dans ces ZFU pour bénéficier des avantages fiscaux mais aucune activité économique (selon l’ex ministre de la Ville, Maurice Leroy). "Il y a eu un certain effet d'aubaine, des entreprises ont profité de traverser la rue" confirme un élu de l’association Ville et Banlieue de France. Un chef d'entreprise s'indigne en constatant que d'autres patrons s'implantent en zone franche pour bénéficier des exonérations et font des licenciements économiques sur le site qu'ils abandonnent ! Et l'État qui a pourtant lancé ce projet n'en fait pas le bilan !

> Jean-Noël Ferraille s'intéresse au cas de la zone franche de Bourges créée en 1999. La ZFU s’étend sur la Chancellerie, le Moulon, le secteur du lycée Alain Fournier vers "les Barbottes". Elle comporte trois extensions : Esprit 1 ou "Port sec" sur la route de La Charité, le Comitec, le long du Moulon et le secteur de l’ancien abattoir route de la Prospective.

Mais les extensions de la zone franche de Bourges se trouvent à l’écart des zones prévues par la loi de 1996. Esprit 1 est à plus d‘un kilomètre du premier immeuble collectif ! Il en va de même pour la zone artisanale de l’ancien abattoir avenue de la Prospective ; le Comitec reste bien séparé des quartiers nord. D’ailleurs, ajoute Jean-Noël Ferraille, aucune zone aménagée ne se situe dans le quartier de la Chancellerie. Voir le plan de la zone franche de Bourges.

zfu plan - Version 2

En ne respectant pas les critères d’implantation prévus par la loi, la création de la zone franche Esprit 1 constitue un détournement d'objet. Elle génère une concurrence déloyale entre les médecins et crée, sur le sol de la République, une espèce de "paradis fiscal". Autre fait grave, l’éloignement des habitations crée des difficultés pour les malades qui sont obligés de consulter à trois kilomètres et demi du centre ville, et sans moyens suffisants de transport public. Et aucun transport public pour les malades venant de la Chancellerie, alors que leur quartier était censé bénéficier de la création de la zone franche ! 

Mais ce n'est pas tout ! Des médecins se sont installés dans la zone franche Esprit 1 en abandonnant leur cabinet et les consultations dans le quartier du Val d’Auron, qui devient du coup un  désert médical. Alors on va créer une Maison de santé financée par le Conseil général et l’État afin de palier l'absence de médecins ...partis bénéficier des avantages de la zone franche ! Le coût est estimé à un million cent cinquante mille euros en subventions.  

Conséquence de cette absurdité : le contribuable paiera deux fois. D’abord en finançant les exonérations dans la zone franche, et ensuite en finançant l’implantation de nouveaux médecins dans le quartier du Val d’Auron.

C'est d’autant plus choquant que, parmi les bénéficiaires de l'aubaine de la zone franche, certains sont des élus locaux  (par exemple messieurs Franck Thomas-Richard et Philippe Gitton dont les noms figurent sur la signalétique parmi ceux de vingt médecins), qui votent les taux d’impôts des collectivités locales en même temps qu'ils s'en exonèrent ! 

Jean-Noël Ferraille expose un petit calcul plein de sens. Sur les revenus moyens des médecins présents dans la zone franche, la perte pour l’État en impôts non collectés est d'environ trois millions d’euros. C'est à dire le salaire brut de huit infirmières pendant quatorze ans !

Pour les râleurs de tous poils, les esprits critiques en tous genres et les jamais contents du Cher (et Dieu sait s'il y en a), c'est un exemple limpide de la façon dont sont organisés les circuits de l'argent. On puise dans les poches des citoyens ordinaires pour remplir celles des petits malins, bénéficiaires du "paradis fiscal" berrichon ! 

Le 3 avril dernier, les militants d’Attac 18 distribuaient des tracts sur la zone franche urbaine Esprit 1 pour dénoncer le détournement de la loi. Le même jour Attac demandait une entrevue avec le Préfet en lui exposant dans une lettre cette situation anormale. La réponse méprisante a de quoi scandaliser : "au regard des éléments portés ce jour à ma connaissance, les dispositifs d'exonération sont appliqués sur ce secteur conformément à la loi et au décret d'application. Si vous avez des informations précises concernant une éventuelle fraude, je ne peux que vous conseiller de vous rapprocher des instances juridictionnelles compétentes".

Nul doute qu'on reparlera de tout cela bientôt, car l'association prépare de nouvelles démarches et initiatives. Attac 18 demande notamment un audit sur le coût de la zone franche et le nombre d'emplois nouveaux créés. Ce serait bien le moins, après tout, les citoyens ont le droit de savoir. 

> Photo du haut, de gauche à droite : Christian Flottes, Jean-Noël Ferraille, Ève-Marie Maniez et un journaliste du Berry républicain. 

En bas, carte de la zone franche urbaine de Bourges et ses extensions - cliquer sur l'image pour l'agrandir.

> Voir Le site de Attac 18. >>> Lien.

Le plan de la zone franche de Bourges >>> Lien.

Zone franche urbaine de Bourges. Site de la Préfecture. >>> Lien.

La liste des zones franches urbaines sur Wikipedia. >>> Lien.

Wikipedia : Zone urbaine sensible.  >>> Lien.

Insee. Les zones franches urbaines : quel effet sur l'activité économique ? >>> Lien.