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La leçon du peuple souverain sera-t-elle écoutée ?

11janvier-tousCharlie

Environ trois millions sept cent mille manifestants en France. Un record, on avait pas vu ça depuis la Libération et les manifestations contre les crimes de l'OAS. Des millions de citoyens qui n'avaient attendu l'ordre de personne pour s'exprimer. Des Français qui n'ont pas seulement marché "contre" le terrorisme, mais "pour" leurs droits républicains. Il sufit de lire leurs pancartes qui s'ajoutaient à "je suis Charlie" et d'écouter leurs paroles : liberté d'opinion et d’expression, liberté de vivre en démocratie (c'est plus concret que le mot fourre tout de "unité nationale" qui n'est employé que par les politiciens et les médias). Et aussi contre toutes les intolérances, qu'elles visent les juifs ou les musulmans. Les partis politiques, les organisations cultuelles, les syndicats et les associations s'étaient intelligemment fondus dans les défilés mais apportaient leur soutien au peuple de France. En somme, ce rassemblement citoyen, dans sa force tranquille, unissait la Nation française riche de ses différences politiques, religieuses, culturelles, en une seule voix. 

> Des journalistes s'interrogent : de quoi demain sera-t-il fait, quel sens donner à ces rassemblements  ? La réponse est sous leurs yeux, les manifestants l'ont exprimée par leurs paroles et les panneaux qu'ils arboraient. Pour montrer leur solidarité aux victimes et à leurs proches. Pour défendre la liberté d’expression. Pour montrer que les Français sont unis dans leur République démocratique et laïque. Pour déplorer que les trois pseudo musulmans et assassins aient été des français.

C'ést aussi pour donner implicitement une leçon à ceux à qui nous avons délégué la charge de gouverner. Oui, le peuple existe, il est là, tenez en compte. Et répondez à ses interrogations. C'est aussi  une leçon à ceux qui prétendent que la démocratie c'est de se taire après une élection et d'attendre la suivante pour s'exprimer. Durant toute cette semaine de janvier 2015, le peuple souverain leur a cloué le bec.

> Plutôt que de vouloir faire tout rentrer dans le moule "unité nationale" en omettant totalement d’expliquer que les tueries de Charlie et de Vincennes ont des causes sociales et politiques, les politiciens et les professionnels des médias devraient en premier lieu répondre aux questions que les français leur posent. Puis, nos gouvernants devraient y apporter remède (et surtout pas en disant "y a pas de sous", ou bien "il faut négocier et harmoniser avec l'Europe").

D’abord, comment se fait-il que les services de renseignement n’aient pas pu prévenir ces attentats ? Comment se fait-il que les trois assassins avec leurs antécédents aient été si mal surveillés ?  Quelles sont les "failles" dont a parlé Manuel Valls ?  Pourquoi les services de renseignement manquent-ils de moyens ? Pourquoi les prisons (tellement surpeuplées et privées de surveillants) sont elles les écoles d'un Islam dévoyé ? À quoi ont servi toutes les lois antiterroristes à part produire du bruit médiatique pour faire croire que les gouvernements agissaient ? À quoi serviront les déclarations creuses des politiciens qui fleurissent depuis lundi ? Il y a eu quinze lois antiterroristes depuis 1986, à l'évidence, il ne suffit pas d'interdire le terrorisme avec des lois pour le faire cesser.....

Comment notre pays et notre société peuvent-il engendrer des hommes capables de ces crimes ? Pourtant ils n'étaient pas des agents de l'étranger, ils ne ne vivaient pas hors de la société française. Ils ont été "pris en charge" très jeunes par des institutions de la République : l’école et aussi l’aide sociale à l’enfance, la justice, la police... Ils ont grandi en France. Comment ont-ils décidé (plutôt que de continuer la délinquance ou d’aller faire le djihad en Irak ou en Syrie) de commettre ces tueries dans le pays où ils sont nés ? 

> Ba Amadou, un éducateur spécialisé de quarante deux ans, craint que la fracture dans la société devienne irréversible. Le jour de la manifestation, il déclare à Libération : "Je côtoie des jeunes qui sortent de prison, en rupture sociale, sans repères, sans valeurs. Leur discours est haineux vis-à-vis de la France et de ses valeurs. Le combat séculaire pour la tolérance et la liberté est menacé par ces brebis égarées. Elles sont plus nombreuses que beaucoup semblent l’imaginer. Sans actions politiques fortes, les choses vont s’aggraver. Il faut nommer les problèmes et les combattre. Dans les prisons, il y a des prédicateurs, des personnages ignobles qui enrôlent les jeunes. Il faut travailler, agir pour les en empêcher. Les milieux associatifs dans les quartiers doivent aussi maintenir le dialogue. Il ne faut pas baisser les bras".

Dans le magazine "Les inrockuptibles", Luz, un des survivants de la rédaction de Charlie Hebdo déclare : "dans un an, que restera-t-il de ce grand élan plutôt progressiste sur la liberté d’expression ? Est ce qu’il va y avoir des aides particulières à la presse ? Est ce que des gens vont s’opposer à la fermeture des journaux ? Des kiosques ? Est ce que les gens vont acheter des journaux ? Que restera-t-il de cet élan ? Peut-être quelque chose. Mais peut-être rien". Et dans le quotidien Libération, à propos de la manifestation géante du 11 janvier il ajoute : "Pour que ça serve à quelque chose, il faut que les gens créent des associations, des mouvements, des journaux, fassent vivre la presse. Que non seulement ils manifestent mais se manifestent. C'est à dire qu'ils montrent la valeur des luttes contre l'obscurantisme, religieux, politique ou économique".

Lundi, dans Slate.fr Charlotte Mannevy s'exprime : "Je suis une citoyenne comme les autres, mais il y a un an de ça, j'ai franchi un pas qui a tout changé. Je me suis engagée au sein d'une association (la Ligue des droits de l'homme). J'y ai découvert le sens de l'engagement et la foi d'hommes et de femmes, qui face au cynisme de notre société, interviennent chaque jour, avec des moyens dérisoires, en prison, dans les écoles, auprès de tous ceux dont les droits sont bafoués et tout simplement de ceux qui en ressentent le besoin. J'y ai découvert un monde d'humanisme et d'espoir".

> Lire, réfléchir, s’informer, dialoguer, analyser, réapprendre à se servir de son sens critique, s'intéresser à nos affaires et ne pas les déléguer aveuglément aux élus, contrôler leur action, comprendre que les politiques d’austérité fournissent le terreau des inégalités, des fractures et de la désespérance sociales. Ça demande des efforts, mais c'est le seul moyen de faire fonctionner la démocratie et la République.

> Le peuple souverain a parlé, et voilà ce que j'ai cru entendre. Mais il a encore du boulot devant lui, le peuple souverain....