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Hypertexte et hyper ânerie.

AneWeb

Nous utilisons tous les liens sur le web. Ce truc simple et génial permet d’aller gratuitement d’une page ou d’un document à l’autre en un éclair, que ce soit pour travailler, s’instruire ou se distraire. Et quelle que soit la date du document, quelle que soit la partie du monde où il se trouve, que ce soit un son, une image, un texte à imprimer.
Qu’on les appelle hyperlien, ou lien hypertexte, lien web, ou lien tout court, c’est la même chose. Ce moyen d’aller à toutes les ressources accessibles de l’Internet a été inventé par Ted Nelson, un pionnier des technologies de l’information en 1965.

Mais l’ânerie et l’ignorance, n’ont pas de limites. La preuve : cet amendement au projet de loi Lemaire (secrétaire d’État chargée du numérique) déposés par deux députées (Valérie Rabault et Karine Berger - PS). Encore une tentative pour légiférer le lien hypertexte et le soumettre à un régime de fermeture et de droit d’auteur - alors qu’il existe déjà des restrictions légales, pour éviter que ces liens puissent servir à diffamer ou parasiter un site. Diable, quel est le but recherché ?

L’amendement vise l’interdiction pure et simple des liens hypertextes, et plus précisément les liens qui ”donnent accès au public à des œuvres ou à des objets protégés par le code de la propriété intellectuelle, y compris au moyen d’outils automatisés sauf autorisation des titulaires de droits concernés”.

Sous un air innocent, cet amendement revient à interdire toute forme de lien :  fini YouTube, Facebook, Twitter, Google …etc ;  finie la gratuité ; fini le web tel qu’on le pratique ;  fini le voyage dans les savoirs….

Dans une page de son site Valérie Rabault, la députée responsable de cette ineptie se défend avec maladresse et donne des verges pour être fouettée :
“Quel équilibre entre les gens qui produisent du contenu et ceux qui l’utilisent gratuitement via du lien hypertexte ? Rappelons que parmi les principaux bénéficiaires de l’utilisation gratuite on trouve les grandes firmes américaines Google, Facebook….
Quelle responsabilité des différents acteurs pour les renvois vers des contenus violant les droits de la propriété intellectuelle ? Il s’agit d’inciter à une prise de conscience au niveau européen, avec pour objectif de préserver le droit d’auteur.
Comment se crée la valeur sur Internet?  La chaîne de valeur sur Internet est constituée de ceux qui produisent le contenu (les pages avec droit d’auteur) et de ceux qui le répertorient et diffusent via des liens hypertexte. L’amendement reconnaît de nouveaux droits aux auteurs”
.

Dans la prose de Valérie Rabault, on reconnaît les mots de langue de bois employés par les technocrates : contenus, préservation du droit d’auteur, comment se crée la valeur. Contenus - alors qu’il s’agit des œuvres ; Propriété intellectuelle et droit d’auteur - alors qu’il s’agit des pourcentages sur ventes des entreprises d’édition musicales ou video ; valeur pour ne pas employer le mot  profit…. Quand aux vrais auteurs, on sait depuis longtemps qu’ils n’ont droit qu’à une miette des recettes que les entreprises baptisées abusivement “ayants droits”, se réservent. Bref, on dirait un discours de Fleur Pellerin…

Bon, voyons le mode d’emploi maintenant. Les deux députées veulent qu’avant qu’un lien soit posté sur un site vers une œuvre, l’éditeur du site concerné demande l’autorisation de l’ayant droit (tiens, le revoilà lui) avant de déposer le lien. L’hébergeur devra également disposer d’une autorisation. L’hébergeur, c’est YouTube, Twitter, Facebook ou Google. Tous les types de liens sont concernés, qu’ils soient en texte, par une photo, articles de presse, vidéos ou sonores. On imagine l’usine à gaz !

Mais l’idée n’est pas seulement farfelue, elle cache une arrière-pensée. Imaginons une taxe sur les liens pointant vers ces “contenus”, imaginons que cela donne lieu à facturation pour mieux rentabiliser les sites, imaginons que le citoyen usant de ces services devienne un client ? …Un client qui devra payer ! 

Si on était mauvaise langue, on pourrait imaginer aussi qu’un lobby a soufflé cette idée à nos députées ? Mais oui, décidément, ça serait être mauvaise langue…. Et ne pas devenir complotiste serait héroïque !


> Sources. Texte de l’amendement 843. >>> Lien.

Libération du 20 janvier 2016. Hyperliens : des députés hyper largués, par Johan Hufnagel. page 5. >>> Lien.