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Conte de Noël.

LE JOUR Où LE PÈRE NOËL A PÉTÉ LES PLOMBS.

SapinFoncouleur

Le sapin de Noël trône dans le hall de l'entreprise Deissert. Un pas matinal résonne dans les couloirs, suivi d'un toc toc martial qui ébranle la porte du bureau. Bonjour, dit en entrant monsieur Deissert au chef de produits sirops, Antoine Mulapied.

Bonjour, monsieur Deissert, répond le chef de produits sirops à son directeur monsieur Deissert.

Bientôt décembre, bientôt Noël, dit en souriant monsieur Deissert à son chef de produits sirops.

Oui, monsieur Deissert, bientôt Noël.

Mon cher Mulapied, Je pensais… Je pensais que nous sommes absents du marché des softs drinks et qu'il faudrait bien qu'on parvienne à y mettre un pied. Un pied, pour commencer… Avant Noël.

D'une voix un peu émue, Antoine Mulapied parvient à répondre. Je croyais mon rapport enterré… Monsieur Machabron m'avait dit que faire un sirop dilué était une idée trop avant-garde (Machabron est le Directeur de marketing des sirops Deissert).

Bien sûr, Mulapied, idée prématurée. Mais vous connaissez ma devise : pas d'avenir sans packaging…

(Bon Dieu se dit Mulapied, voilà l'occasion de dégommer cette vache de Machabron).  Et d'une voix un peu moins tremblante : monsieur Machabron m'avait pourtant dit que mon idée de carton verseur était idiote et qu'il fallait la retirer du dossier, si je voulais lui laisser une petite chance de parvenir jusqu'à vous…

Packaging, Mulapied, packaging, je me tue à vous le répéter ! Voilà ma décision, notez : le produit sera un sirop de grenadine dilué avec 7 volumes d'eau. Quel bonheur pour tous les enfants, quelle facilité pour la ménagère ! Je lance le sirop à diluer déjà tout dilué, prêt à l'emploi dans son packaging ! Le sirop tout prêt, juste bien dosé. Le prix de vente de la dose de sirop sera multiplié par trois ! Je vais pouvoir annoncer un bonus aux actionnaires pour Noël ! Rassurez vous, pas la peine d'en parler à Machabron, je dirai que l'idée est de moi. Au travail Mulapied, je veux le dossier du marketing mix sur mon bureau demain matin ! 

Je ne vous ai pas encore dit que, tous les ans, le père Noël fait une étude de marché pour préparer les cadeaux que les enfants désirent. Mais là, une vraie étude de marché auprès d'un échantillon représentatif des enfants de la planète. À peu près cinq millions d'enfants par continent, du boulot sérieux. Ça va très vite, presque aussi vite que la tournée du vingt-cinq décembre, car le Père Noël est aussi magicien. Pour s'occuper pendant la morte saison, il pratique la magie blanche (et la magie noire aussi).

Donc le Père Noël passait par là pour les besoins de son étude de marché annuelle et entendit tout. Et je ne sais pas quelle mouche l'a piqué. Et il se dit que décidément ces gens-là se fichent du monde, et que trop c'est trop, qu'il en avait soupé des Mulapied des Machabron et des Deissert de tous poils, et il dit même des gros mots. Pire, il se lança dans un monologue un peu gauche à propos de l'eau qui manque en Afrique, la faim, la pauvreté, le chômage, tout ça. Plutôt colère le Père Noël ! Puis, silence, on entendit plus parler de lui. 

Le vingt cinq décembre arriva, puis le vingt six. Comme le vingt cinq est férié, ça ne leur est arrivé que le vingt six.  Machabron s'est réveillé employé en cédédés (renouvelables à perpétuité) au service des eaux, à vingt sept heures par semaine pour cinq cent soixante dix euros par mois. Antoine Mulapied est caissier chez Parefour, lui aussi en cédédés renouvelables à perpétuité, il gagne autant qu'une caissière, et vient travailler quand on l'appelle. Ses collègues l'ont surnommé chochotte. Monsieur Deissert est coupeur de canne à sucre au Guinémalawi, il a très chaud, il est tout collant de jus de canne et il sent mauvais. Le père Noël lui a même fait la peau noire. 

…Il était plutôt colère le Père Noël, moi je ne le voyais pas comme ça.