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Saint Guerluchon, un ami qui vous veut du bien !

Illustrations, de haut en bas :

Saint Guerluchon par Philippe Ongena

La Fontaine de Michavant

Saint Guerluchon, apocryphe 14e siècle

Priape, fresque de Pompeï

Nos ancêtres les Bituriges, déjà gaulois de qualité avant de devenir des berrichons, ont semé quelques mythes et croyances qui ont vécu jusqu'à des jours récents. Les membres de ce peuple celte et leurs druides fort avisés, prenaient grand soin des sources, qui étaient selon eux, l'habitat des divinités. Ils leur faisaient de nombreuses offrandes, organisaient moult cérémonies, rendaient grâce aux dieux dispensateurs de ces eaux pures qui étanchaient si bien la soif, servaient accessoirement à fabriquer de bonnes bières gauloises, et soignaient au passage quelques maux.

C'est ainsi que nos grands parents Bituriges célébraient Abnoba et Arduina, Damona, Dunisia, Niskae, Ilixo, Lugovius, Ivaos, Moritasgus, Nemausus, Arausio et Vasio. Outre les divinités des sources, les gaulois en avaient d'autres pour toutes les occasions. Ils vénéraient Cernunnos et Damona, dieu et déesse la fertilité et de la fécondité (ce qui est à peu près la même chose). À la même époque, ou peu s'en faut, les grecs adoraient Priape et lui dressaient des sculptures aux formes évocatrices. Dans leur mythologie, Priape était le fils de Dionysos et d'Aphrodite et dieu de la fertilité, protecteur des jardins et des troupeaux. En outre, Priape offrait l'avantage d'écarter le mauvais œil et de protèger les vergers. 

C'est sans doute pour toutes ces raisons que les romains avaient également adopté Priape. Quant aux égyptiens, ils vouaient un culte à Mendès, qui malgré un nom différent, ne pouvait cacher qu'il était doté des mêmes avantages que Priape.


Ces similitudes démontrent que la mondialisation existait déjà à l'époque, et qu'on y échangeait pas seulement du vin dans des amphores et des courses de chars contre des tonneaux de cervoise et des jambons séchés.

Plus tard, bien plus tard, l'église catholique et romaine et son clergé malin on fait des sources gauloises des lieux de processions et de pélerinages, inventant du même coup le concept de récupération (que nos modernes gauchistes croyaient avoir découvert tous seuls et les premiers).

En somme, la christianisation de la Gaule ne fut en partie qu'un ajout associant aux personnages bibliques et aux saints, une ribambelle de divinités antiques dans un joyeux mélange de croyances, de célébrations sur les lieux mêmes des temples anciens, des sources et des fontaines. Il suffisait parfois de baptiser un ex dieu païen en saint...À moins que la malice populaire ne s'en charge à la place du clergé. 

Et c'est à peu près à l'époque de ces temps reculés autant qu'immémoriaux qu'en Berry apparut Saint Guerluchon, lointain descendant de Cernunnos ou de son cousin Priape.

Selon la légende, les femmes qui venaient prier seules en sa compagnie dans les bois devenaient enfin fertiles. Saint Guerluchon faisait l'objet de nombreux pélerinages car il possédait (ainsi que ses statues par délégation de pouvoir), le moyen de vaincre la stérilité.

Saint Guerluchon était aussi nommé Saint Greluchon, ou Grelichon (mais également Saint Génitour, Saint Phallier, Saint Vit, Saint Vic, Saint Vitte). Le nom de ce saint fabuleux de notre Berry est fait d'un jeu de mots avec grelot (par analogie de forme avec testicule), enjolivé des suffixes uche et on. Un fameux dicton disait "aller au pélerinage à Saint Guerluchon pour avoir des enfants frisés". C'est évident, ça ne fait pas de doute, nous savons maintenant que Saint Guerluchon était frisé...


Et il reste des traces de tout ça en Berry, en voici quelques exemples. Commençons par le Cher et par Henrichemont.

> Entre Henrichemont et Parassy, à la fontaine de Michavant, les femmes stériles allaient en pèlerinage et jetaient quelques piécettes dans l’eau ou dans les taillis. Une procession annuelle s'y rendait depuis l'église d'Henrichemont.

> Dans le bois de La Chapelotte, la Chapelle de Sainte Lorette était édifiée près d’une source dont l'eau avait la réputation de donner fécondité et virilité. Un pèlerinage annuel avait lieu au départ de l’église de Jars jusqu’à la source. Les femmes remplissaient des petites bouteilles de cette eau pour bénéficier de ses vertus (du latin virtus qui a donné virilité).

> À Saint Georges sur Moulon, Les femmes stériles allaient à la "Pierre à la femme". De nos jours c'est facile, l'emplacement est indiqué par une signalétique.

> À Sainte Montaine, à la fontaine bouillonnante les femmes allaient boire pour devenir fécondes et ramenaient chez elles des cailloux récoltés sur les lieux. Le pèlerinage se déroulait le lundi de Pentecôte.

> Dans l'Indre à Chabris, on invoquait Saint Phallier (dont la statue était située dans la crypte de l’église) pour remédier aux déficiences viriles. Les demandeurs et demandeuses faisaient brûler un cierge et en rapportaient les restes qu’ils plaçaient à la tête du lit.

> À Gargilesse-Dampierre, Saint Guerluchon avait une statue en bois : les femmes stériles allaient râper le membre viril du Saint pour en extraire une décoction fertilisante.

> À Reboursin. L’eau de la fontaine Saint Guerluchon était réputée contre la stérilité. Les fiancés venaient en pèlerinage boire l’eau et demander une progéniture nombreuse.

> En Sologne il existait une statue de Saint Guerluchon placée au-dessus de la source du même nom  à Ménestreau en Villette.

> En Bourbonnais, Saint Guerluchon avait une statue dans l’église de Bourbon l’Archambault. Les femmes stériles venaient retirer des copeaux sur le vit en bois dont la statue était ornée. Mélangés au vin, ils avaient la propriété de les guérir.


Les esprits taquins (et dieu sait qu'il y en a en Berry), disent aussi que Saint Guerluchon est le patron des porteurs de cornes. Sans doute à cause des enfants frisés ? 

Mais tous les greluchons ne sont pas des saints ; en langage familier, un greluchon est l'amant d'une femme mariée, ou celui d'une femme qui se fait payer par d'autres. Le greluchon est plus vulgaire et moins joli que Saint Guerluchon, y a pas photo.


À Saint Plantaire dans l'Indre, cette année Saint Guerluchon est à nouveau honoré par une sculpture fontaine de Philippe Ongena. Sur la plaque, on peut lire : "Cher Saint Guerluchon, Prend place dans ce costume de granit, confère fertilité aux ventres qui t'invoqueront, et que des girons et nichons replets s'épanche une belle humanité, forte, joyeuse et pacifique".

Saint Guerluchon, un ami qui ne nous veut que du bien !


> Il existe d'autres statues et fontaines en Berry vouées à la fécondité, n'hésitez pas à me les signaler pour que je les ajoute à la liste.


> Concernant la fontaine de Michavant, je vous recommande l'article de l'excellent "Veaugues, le blog de Sirius" qui donne toutes les informations et les photos du site actuel, ainsi que l'itinéraire pour s'y rendre. Malheureusement l'édifice qui figure sur la carte postale ancienne n'existe plus. http://veaugues.over-blog.com/article-37053441.html


> Pour voir la sculpture de Philippe Ongena : http://www.philongena.net/evenements.htm#engreux