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Allons nous conserver notre unique quotidien régional ?

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Y a-t-il un avenir pour notre dernier quotidien régional ? Le Berry Républicain n'était pas chez les marchands de journaux mercredi 6 novembre pour cause de grève au journal. Dans le numéro du 7 novembre, Michel Habouzit (directeur général du groupe Centre-France), exposait un "projet de développement stratégique" sous le titre "les raisons d'un redéploiement". Environ trois cent seize personnes sur deux mille deux cents perdraient leur travail dans les différents services de Centre France, cela comprend les départs  de trente cinq journalistes des rédactions du groupe, dont un certain nombre à Bourges. 

Comme on peut s'en rendre compte, Michel Habouzit commence très fort, et en langue de bois (mauvais signe). Le reste de l'entretien est à peu près du même acabit.

Après avoir évoqué le contexte de crise, le "déclin inéluctable du journal papier" et la baisse des ventes, Michel Habouzit annonce : "selon nos projections, si nous ne faisons pas évoluer nos activités, nous enregistrerons un résultat négatif de treize millions d'euros en 2016". Et des pertes cumulées de de vingt six millions d'euros entre 2014 et 2016.

Chez Centre France, c'est un peu comme ailleurs. Selon Le Monde : plus de mille cinq cents emplois dans la presse ont été supprimés en France en 2013. Dont plus de huit cents dans la presse quotidienne régionale (Le Nouvel Observateur). Ces licenciements s'ajoutent à ceux de 2012 : mille cent cinquante huit suppressions d’emplois dans la presse, dont six cents journalistes. Faites le compte...

Michel Habouzit va "engager un plan d'économies avec une cession ou un arrêt des activités déficitaires", fermer ou vendre des imprimeries du groupe (Orléans, Fusium), arrêter la télévision locale clermontoise iC1, "rationaliser les frais généraux", "contenir les salaires", "adapter les effectifs aux besoins du groupe", "adapter notre offre traditionnelle".  On connaît, on a déjà entendu ça des tas de fois.

Dans le reste de l'entretien, il veut "sauvegarder notre compétitivité", "ouvrir des espaces nouveaux et innovants", "créer des plate-formes numériques multisupports", des "offres publicitaires ciblées et géolocalisées", "développer des offres d'information et de contenus", des "services verticaux experts", "renforcer et diversifier l'offre événementielle", "relooker" les maquettes des journaux, dynamiser l'offre du dimanche, développer des hors-séries et magazines périodiques, et aussi "investir cinq millions d'euros dans l'événementiel". Du classique en somme.

Dans cet article de plus de mille mots (mille trente trois exactement), il est question d'économies, de millions d'euros, de fermer, de vendre, de rationaliser, de frais généraux, de compétitivité ...etc.  Mais on ne trouve les mots information et journaliste qu'une seule fois !!!

Michel Habouzit a certainement les pieds sur terre, comme les autres patrons de la presse française. On pourrait juste reprocher à ces messieurs de prendre très tard le virage de ce qu'ils appellent "le numérique", après avoir dis pis que pendre de l'internet, ses sites et ses blogueurs pendant des années. Il est sans doute même un gestionnaire avisé et efficace. Mais l'exposé de son projet en langue de bois technocratique ressemble à tous les autres pour le contenu, et comme article il est bien ennuyeux. Pire, la place minuscule qu'il réserve à l'information et au journalisme dans cet entretien est révélatrice d'un état d'esprit qui fait craindre pour l'avenir du dernier quotidien du Cher.

Et cet état d'esprit n'est pas une des faiblesses du seul Berry Républicain, c'est le cas de nombre de ses confrères. Certes, les gestionnaires parlent d'or et doivent être écoutés, mais quand ils sont seuls à parler et que les journalistes se taisent, l'imagination n'est pas au pouvoir, l'information non plus. Économiser pour investir c'est bien, mais si l'argent n'a pas d'odeur, il n'a pas d'idées pour autant.  Alors, les projets...

Pas étonnant que notre dernier quotidien régional perde des lecteurs et n'en gagne pas de nouveaux. Au fil des pages et au fil des jours on constate l'absence d'analyses et de points de vues critiques (alors que les lecteurs du Cher ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre), des comptes rendus banals, une complaisance certaine envers les notables, aucune investigation, des faits divers racoleurs, une information de politique nationale et internationale copiée sur les mêmes dépêches d'agences que partout ailleurs, l'étalage de la pensée unique... Cet ensemble ronronnant ne stimule pas l'intérêt des lecteurs, ni l'attente de ce que le journal leur révèlera le matin suivant. C'est probablement une des causes du "déclin inéluctable" évoqué par Michel Habouzit.

"Le numérique" et l'Internet ne sont que des outils pour transmettre des informations et des opinions à leurs lecteurs. Si une partie du public se détourne de la presse, c'est que la consommation des loisirs (ou les emmerdements du travail précaire et du chômage), ne lui laissent ni le temps ni l'envie de la consulter, et que des sites web et des blogs sensibles, fouineurs, vivants et réactifs, lui semblent plus intéressants à lire... 

Espérons que dans deux ou trois ans, les pages un peu monotones du Berry Républicain ne seront pas réveillées par l'annonce d'un "nouveau plan de redéploiement stratégique". C'est un voeu pour les lecteurs du Cher et pour les femmes et les hommes qui font ce journal.


 

Le groupe Centre France-La Montagne édite les quotidiens La Montagne, Le Populaire du Centre, Le Journal du Centre, Le Berry Républicain, L'Yonne Républicaine, La République du Centre, l'Écho Républicain, la Voix du Sancerrois, L'Éclaireur du Gâtinais, Le Pays roannais. Le groupe est présent dans l'audiovisuel avec la chaîne régionale Clermont Première, le numérique, la presse hebdomadaire, etc. Les revenus du groupe dépassent 200 millions euros. Il emploie environ 2200 salariés. Michel Habouzit est son directeur général.

Le Groupe Centre France-La Montagne a pour actionnaires la Fondation Varenne (principal actionnaire avec 60 % du capital, présidée par Daniel Pouzadoux - qui succède à Jean-Pierre Caillard 1946-2012) et le Crédit Agricole (SACAM-Centre). La Fondation Alexandre et Marguerite Varenne a été créée par Marguerite Varenne, épouse d'Alexandre Varenne, fondateur du quotidien La Montagne.