Réforme des retraites. Autour du projet et des manifestations  de juin.

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À une large majorité, les français pensent que le projet gouvernemental de réforme des retraites est mauvais (65 % selon certains sondages). Ce petit dossier pose des questions, donne quelques chiffres, mais peu de réponses, car le problême est bien plus vaste et plus complexe que les duettistes Woerth & Sarkozy le prétendent. À chacun de s'informer et de se faire une opinion.


> Petit rappel. Le système de retraites des salariés en France. 

C'est un système par répartition : on ne cotise pas pour soi même (ce n'est pas de l'épargne ou une assurance), mais pour les aînés. C'est à dire que les cotisations de ceux qui travaillent payent les pensions des retraités. Les cotisants accumulent des points de retraite et des trimestres de cotisation.

Deux régimes principaux gèrent le système de retraites des salariés : le régime général est celui de la sécurité sociale (Caisse nationale d'assurance vieillesse) créé en 1945, qui est complété par des cotisations à des caisses complémentaires (créées sous la pression des salariés à partir des années cinquante).

Il n'y a pas "un" âge de la retraite. L'âge de la retraite a plusieurs facettes :

L'âge "légal" est l'âge qui ouvre le droit de prendre sa retraite et toucher une pension. Il est de 60 ans (avec des exceptions).

La "durée de cotisation" : un salarié a droit à sa retraite à taux plein lorsqu'il a cotisé un certain nombre de trimestres (150 à 164 trimestre, selon sa date de naissance). On peut partir en retraite à 60 ans sans avoir cotisé tous les trimestres nécessaires, la pension s'en trouve réduite.

L'âge du "taux plein" : à 65 ans, on peut partir à la retraite en bénéficiant du taux plein, même si l'on n'a pas tous ses trimestres.

L'âge de la retraite "d'office" : il a été  reculé de 65 à 70 ans.


> Un problème de répartition des richesses, quelques chiffres.


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Il y a en France seize millions de retraités, soit près d’un quart de la population. Les pensions qui leur sont versées représentent 261 milliards d'euros, soit plus de 13 % du PIB (Produit intérieur brut). Elles permettent d’assurer un montant moyen de pension de 1400 € mensuels, en augmentation de 0,6 % en plus de l’inflation chaque année.

La masse salariale en France en 2009 est environ de 1200 milliards d’euros. Le PIB de la France était de 1900 milliards d’euros cette même année.

En raison de la forte croissance du nombre de retraités (+ 280 000 par an depuis 2006), les régimes de retraite sont confrontés à des déficits importants. Ce déficit s’élève aujourd’hui à 32 milliards d'euros et on estime que si rien n’était fait, il irait en s’aggravant dans les années à venir (70 milliards d'euros en 2030, 100 milliards d'euros en 2050).

Le montant des dividendes versées aux actionnaires représentes 167 milliards d’euros par an. Ce montant a augmenté de plus de 100 milliards d’euros depuis 1982.

Le paquet fiscal adopté en 2007 coûte environ 15 milliards d’euros par an à l’état. Les exonérations de charges sociales liées aux 35 heures pèsent également 15 milliards d’euros annuellement .

L’ensemble des "niches" fiscales en France représente 75 milliards d’euros de perte par an pour le budget de l’État et pour la protection sociale.

Le montant des réductions d’impôts accordés aux ménages les plus riches depuis 2000 se monte à 30 milliards par an.

Selon le Syndicat National Unifié des Impôts, il y a en France 40 milliards d’euros par an de fraude fiscale.

Selon un article de la Bank for International Settlements (la Banque des Règlements Internationaux)  jamais les bénéfices n’ont été aussi hauts, jamais les salaires n’ont été aussi bas dans l’ensemble des pays industrialisés (un déséquilibre inédit depuis au moins un demi-siècle).

D’après la Commission européenne, en France la part des salaires a chuté dans la valeur ajoutée de 9,3 %. Dans le même temps, la part des dividendes dans la valeur ajoutée passait de 3,2 % à 8,5 %.

Le PIB de la France s’élève, aujourd’hui, à près de 2 000 milliards d’euros. "il y a en gros 120 à 170 milliards d’euros par an qui ont ripé du travail vers le capital, calcule Jacky Fayolle, ancien directeur de l’IRES (Institut de Recherche Économique et Sociale).  Soit plus de dix fois le "trou" de la Sécurité sociale en 2007 (dix milliards, l’année d’avant la crise), cinq fois celui de 2009 (22 milliards d’euros, crise oblige). Une vingtaine de fois celui des retraites (7,7 milliards d’euros). Des "trous" amplement médiatisés par la propagande gouvernementale, qui tait pudiquement celui creusé par les actionnaires dans la poche des salariés…

Ces changements cumulent un ensemble de facteurs : le poids du chômage, les politiques économiques, les changements de la gouvernance des entreprises depuis une vingtaine d’années. 


> Des "informations" inexactes pour essayer d'influencer les citoyens.


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Le gouvernement et les médias citent à tort et à travers le "problème" de la démographie et l’allongement de l’espérance de vie. Mais l’allongement de l’espérance de vie, ce bienfait, ne provient pas que du progrès de la santé publique, il est du à la retraite à 60 ans ! Car, quand on travaille plus longtemps, on meurt plus tôt ! On en trouve la preuve dans les tables de mortalité des compagnies d'assurances : si vous travaillez un an de plus vous vivrez six mois de moins. Si vous travaillez deux ans de plus vous vivrez un an de moins. Et à notre époque il y a des gens qui font des journées de 14, 15, 16 heures tout comme au dix neuvième siècle ! 

Et Sarkozy, Woerth et leur gouvernement veulent que les français travaillent jusqu’à 65, 67, 70 ans comme au début du siècle dernier ! Moralement et politiquement c'est inhumain, c'est très laid, c'est prendre la responsabilité d'écourter la vie d'autrui ! Et rien ne le justifie : la France est riche et ses entreprises aussi, mais les richesses ne sont pas redistribuées justement. Pour les opposants, les syndicats et certains économistes, Il faut hausser les salaires et les cotisations sociales, au détriment des profits fabuleux gaspillés dans la spéculation financière. Cet argent, réinjecté dans l'économie par la consommation aiderait à la sortie de crise.

Le document gouvernemental affirme qu'il y a un "choc démographique". Non, c'est inexact, a répondu à plusieurs reprises le Conseil d’orientation des retraites (COR). Le COR  a également démontré que l’aggravation des déficits des comptes sociaux était essentiellement due à la crise financière et non pas à l’évolution démographique : en 2006, le déficit de l’ensemble du système de retraite était de 2,2 milliards d’euros ; en 2008, il atteignait 10,9 milliards et il devrait être de 32,2 milliards en 2010. La démographie n’exerce son influence qu’à moyen et long terme, et pas dans cette accélération foudroyante en quelques mois.


> Pourquoi faut-il réformer ?

Les cotisations des actifs doivent payer de plus en plus de retraités. De 2 actifs pour 1 retraité en l'an 2000, le "taux de remplacement" passera, si rien ne change, en 2040, à 1,1 actif pour 1 retraité. 

Les nombreux enfants du bébé boom des années 50 arrivent maintenant à l'âge de la retraite. Entre 2010 et 2030, le nombre de retraités va augmenter de près de moitié (de 15,5 millions à 23 millions en 2050).L'espérance de vie s'allonge. 

Les entrées sur le marché du travail sont de plus en plus tardives.

Élément principal : tous ces phénomènes sont aggravés par la crise économique. Moins d'emplois, plus de chômeurs, moins d'activité, c'est moins de cotisations.


> Ce que les gouvernements précédents ont fait  pour le système des retraites. 


Le gouvernement Balladur a allongé la durée de cotisation de 37,5 ans à 40 ans pour les salariés du privé en 1993.

En 2003, le régime des fonctionnaires a été aligné sur celui des salariés du privé. La durée de cotisation de l'ensemble des travailleurs a été allongée (41 ans en 2012).

Mais la crise de 2008 est passée par là et aujourd'hui le système connait des problèmes financiers croissants. En 2010, le déficit de l'ensemble des régimes de retraite et de chômage approchera 32 milliards.


> Quelles sont les mesures de la réforme Woerth-Sarkozy ?

Les principales dispositions du projet présenté le 16 juin par le ministre du Travail Eric Woerth.

L'âge légal passerait progressivement de 60 à 62 ans d'ici 2018. Ce qui permettrait selon le gouvernement d'économiser 19 milliards d'euros en 2018.

Ceux qui sont "usés" par le travail continueront à prendre leur retraite à 60 ans, à condition qu'ils en fassent la demande et qu'elle soit reconnue.

L'âge du taux plein passerait de 65 à 67 ans.

La durée de cotisation (pour obtenir le taux plein) passerait à 41 ans et un trimestre en 2013, et à 41,5 ans en 2020.

Pour combler les déficits, on puiserait dans le fonds de réserve des retraites (FRR) mis en place par le gouvernement Jospin pour combler les déficits prévus pour après 2020. 

Le taux de cotisation des fonctionnaires augmenterait en 2020 de 7,85 % à 10,55 %.

La tranche supérieure de l'impôt serait relevée d'un point, les stock options, les retraites chapeau, les revenus du capital, les plus-values, seraient taxés davantage.


> Les principales critiques  contre la réforme.

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C'est une réforme inefficace car elle nie le vrai problème, qui est le chômage. Vouloir obliger les salariés à travailler plus longtemps alors qu'ils manquent déjà de travail ne sert à rien. P pour lea revue "Alternatives économiques"  "Les deux tiers des partants n'étant pas en emploi au moment où ils liquident leur retraite, le passage à 62 ans va permettre une économie par la réduction de leurs droits, mais ils ne cotiseront pas plus longtemps". 

Une réforme injuste, car elle ne pèse pas sur les plus privilégiés. C'est pour ceux qui ont commencé à travailler jeune que la réforme est injuste et violente : la durée d'activité et de cotisation (avant l'âge légal) est déjà longue et leur espérance de vie est généralement plus courte. Ils vont devoir travailler deux années de plus et cotiser deux années de plus… Tandis que pour les cadres, entrés plus tardivement sur le marché du travail, le changement sera moins brutal : ils terminent déjà leur carrière au delà de l'âge de 60 ans. 

Un des aspects inhumains du projet de réforme est qu'il ne tient pas compte de la pénibilité des emplois par catégories professionnelles, il se borne à juger de "l'usure au cas par cas". A 60 ans, un cadre a vingt et un ans d'espérance de vie, mais pour un ouvrier c'est quatorze ans… Les situations de handicap ou d’inaptitude seront prises en compte mais sans qu’on sache comment. Eh bien, ce n'est pas une approche sérieuse de la pénibilité. Qu’on songe par exemple au cas d’un ouvrier travaillant en milieu cancérigène, qui ne présente pas de pathologie grave à 60 ans et doit donc continuer à travailler, et qui est emporté en un an par un cancer généralisé à l’âge de 63 ans, après avoir bénéficié de sa retraite un an. Qu’on songe à la caissière de supermarché qui ne sait pas que ses problèmes d’épaule et de poignet sont des maladies professionnelles (mal) reconnues et qui travaille à temps partiel jusqu’à 62 ans faute de pouvoir continuer à temps plein, alors qu’elle aurait le droit de partir à 60 ans si elle voyait un médecin.

La réforme puise dans le fond de réserve des retraites (FRR), qui était conçu pour combler le trou des années 2020-2030. Le plus gros problème du système sera posé après 2020, et on est en train de vider la cagnotte qui devait permettre de passer cette décennie difficile.


> Peut-on faire autrement ? 

Existe-t-il d'autres possibilités ? Quels éléments différents pour alimenter une vraie négociation ?

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Une remarque pour commencer. Le gouvernement et la majorité UMP écartent toutes les alternatives en les nommant "matraquage fiscal". Mais augmenter les impôts de certains est-il pire que de demander aux salariés Français deux années de plus de travail, deux années de plus de cotisations, et deux années de moins de retraite ?

Les opposants au projet Sarkozy-Woerth proposent d'autres moyens qui pourraient modifier les modalités de la réforme dans un sens plus juste.

Imposer les revenus du capital et les grandes entreprises, c'est un des moyens proposés par les syndicats et aussi la solution priviligiée par le Parti Socialiste et d'autres formations de gauche. On trouverait ainsi 19 milliards d'euros : Une augmentation de la CSG sur les revenus du capital (7 milliards d'euros). Une contribution majorée sur leur valeur ajoutée (7 milliards), le reste fourni par la taxation des stock-options et de l'intéressement. Une surtaxe d'impôt sur les sociétés de 15% sur les établissements financiers serait attribuée au fonds de réserve. L'augmentation des cotisations retraite : le PS propose un point sur 10 ans, pour les salariés et les employeurs. L'allongement de la durée de cotisation, mais facultative. Certains proposent une sorte de bonus sur les retraites des salariés qui décideraient de partir après 60 ans.

Le niveau de vie moyen des retraités étant légèrement supérieur à celui des actifs (106 %), la fondation Terra Nova suggère de faire payer aussi les retraités aisés. 


> Faire autrement demande du courage.

L’Union européenne est engagée depuis les années 1990 dans une logique de dumping social et fiscal qui pousse à l’harmonisation des systèmes sociaux par le bas, et au développement des assurances sociales privées. Cette pression anti sociale est renforcée par l’ouverture de l’Union au libre échange mondial sans limitations, et à la spéculation sur les marchés internationaux des capitaux. Par conséquent, on ne peut aujourd’hui construire une réforme ambitieuse et juste en matière de retraites, sans remettre en question le traité de Lisbonne et les directives européennes qui vont à l'encontre de notre protection sociale et de l'emploi....


> Ce petit dossier est un résumé de diverses informations et commentaires glanés sur le web, et ne prétend pas faire le tour de la question. Il a pour objectif, par les interrogations qu'il soulève, de montrer que l'affaire des retraites n'est pas aussi simple qu'on veut nous le faire croire. À chacun de creuser le sujet et de se faire une opinion.


> Sources et liens. 

Wikipedia  http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9curit%C3%A9_sociale_en_France 

Attac-Histoire des retraites. document PdF 

Le Monde, édition du 15.06.10. Articles de Gérard Filoche sur son site http://www.filoche.net/  . 

Eco89 Pascal Riché.  http://eco.rue89.com.

Observatoire des inégalités  http://www.inegalites.fr/spip.php?article1238.

Fakir http://www.fakirpresse.info/articles/336/partage-de-la-valeur-ajoutee-le-hold-up-tranquille.html

Portail de la sécurité sociale. http://www.securite-sociale.fr/comprendre/histo/historique/chrono_ss.htm

> Photo du haut : manifestation Paris 24 juin. Pierre Ducrocq


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