Le potier qui avait berné le diable.

1-Potier au tour

Antoine Gorce, dit “La Malice” était un tourneur habile, un gars réputé pour ses ficelles et son astuce. Il avait appris à lire tout seul, savait le nom des étoiles et comptait de tête comme un savant. Après l’école les gamins venaient à lui pour résoudre les problèmes de robinet ou de baignoire (on s’demande bin à quoi don qu'ça pouvait sarvir puisque personne n’en possédait une, de baignoire, à La Borne ?).

Mais comment un ouvrier, potier de surcroît, et qui n’est jamais allé à l’école, peut-il être intelligent ? Le maître d’école voulut en avoir le cœur net : un jour il descendit le chemin du lavoir, certain d’y trouver Antoine qui était souvent là, à tourner autour des lavandières et à reluquer leurs fesses qui dépassaient des cabassons. 

Et le maître d’école lui posa une colle. Avant-hier, ma fille avait dix sept ans ; l'année prochaine, elle aura vingt ans. Comment est-ce possible ? Antoine répondit du tac au tac : C’est à cause de sa date de naissance : hier, on était le 31 décembre, elle a eu dix-huit ans. Cette année, elle a dix-neuf ans et l'année prochaine, elle aura vingt ans ! 
Le soir même, les lavandières racontaient l’histoire dans toutes les maisons de La Borne. Puis les hommes qui l’avaient entendue à l’heure de la soupe s’en allèrent la colporter dans les cafés du village…

Le maître d’école ne pouvait en rester là. Il fit appel à son collègue d'Henrichemont un savant qui ajoutait de la finesse à ses trente ans d’expérience. Ce dernier trouva une énigme pour éprouver Antoine et on fixa un rendez-vous pour le jour du marché. Antoine, peux-tu nommer trois jours de le semaine consécutifs sans dire : lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche ? Antoine lui répondit du tac au tac : hier ; aujourd'hui ; demain !
Et sais-tu la réponse à cette énigme là :
Je suis le frère de deux aveugles, mais ces deux aveugles ne sont pas mes frères. Comment est ce possible ? Antoine lui répondit du tac au tac : ce sont tes soeurs. Ce n'est pas parce que t’es un gars que tu n’as que des frères !
Après que d’ça, la réputation d’Antoine était faite : il en savait plus que deux maîtres d’école ! C’est depuis ce jour qu’on lui donna le sobriquet “La malice” et qu’il le garda jusqu’au dernier moment de sa vie.

Eh bien, malgré sa malice sachez qu’Antoine Gorce était resté un homme avec ses faiblesses. Il s’était laissé prendre par une fille Chaitand qu’il avait fait danser au feu de Saint Jean. Une fumelle qui savait rin faire de ses dix doigts, c’est dire qu’al'tait même pas bonne à faire une anseuse. Elle était grande et noire de cheveux comme les autres coureuses du Grand Crot. Elle avait les hanches bien rondes qui faisaient comme une danse quand elle marchait. Elle avait aussi le regard par en dessous comme les autres filles Chaitand, mais des yeux de biche et une voix de velours qui vous retournaient les sens, si bien qu’Antoine l’avait mariée et lui passait ses caprices et ses quatre volontés. Comme quoi la malice ne protège pas de tout. Mais c’est une autre histoire….

Mais venons en plutôt à l’aventure d’Antoine “La Malice”, une aventure qui vaut d’être racontée. 

1-le-tanneur

Benoit Taillemitte, un pauvre gars qu’était tanneur à Henrichemont et qui fiolait trop souvent, avait vendu son âme au diable pour une bourse de napoléons. Il mena la belle vie pendant sept ans, puis vint le moment de rembourser sa dette et de rendre au diable le sac de précieuse monnaie. Et comme la bourse était vide, il allait le payer de sa vie et rôtir dans les flammes de l’enfer. Quand il dormait il en rêvait des cauchemars, et quand il ne rêvait pas il passait des nuits blanches à ressasser des idées noires. Le lendemain il allait à la tannerie en se traînant. Il n’était bon à rien et faisait tout de travers. Et le patron l’engueulait, et sa femme lui criait dessus.

Sa femme, justement, il n’osait pas lui avouer la bêtise qu’il avait faite. Et il avait tellement honte qu’il n’osa pas non plus en parler au Curé. Même pas en confession. 

Benoit Taillemitte était au bout du rouleau. 
À bout de ressources, il alla trouver Antoine “La Malice”. 

Penaud comme un loup pourchassé par une poule, il lui raconta son marché de dupes avec le diable. Après lui avoir fait les reproches d’usage, Antoine lui dit : 

Mon gars, t’iras pas au rendez-vous. Tu causeras pas à Belzébuth. Tu me donneras tes vêtements et j'irai à ta place. Mais à l'avenir, arrête de vivre à crédit... car si tu recommences, ça ne sera pas l’enfer cette fois, mais la prison du Bordiot !  

Le soir venu, Antoine “La Malice” vêtu de la limousine de Benoit Taillemitte, le visage caché sous la capuche, se rendit au rendez-vous du diable, un endroit bien sombre sur le chemin en bas de la poterie des Maisons neuves. 

- Je vois que tu es de parole, dit Belzébuth, prenant Antoine pour Benoit Taillemitte, ne perdons pas de temps, donne-moi l'argent que tu me dois
Et il se mit à ricaner, sachant bien que le gars avait tout dépensé, et qu’avec sa malheureuse paye de tanneur il n'avait pu mettre de côté la valeur d’un sac de napoléons. 

1-diable-cornu-signe-rouge

- Je ne l'ai pas, mais je t'offre mieux ... si je te donne en plus de mon âme, celle de ma femme, acceptes-tu de parier avec moi ? dit Antoine “La Malice” . 
- Ça serait un marché, d'autant que ta femme est encore jeune et qu’elle cuisine bien, à ce qu’on dit, répondit le diable. 
- Dans ce cas, je parie que je vais te montrer une chose que tu n'as jamais vue de ta vie.  - Mon pauv’ gars, tu as perdu d’avance, ricana le diable en soufflant une haleine qui sentait le soufre… 
Alors Antoine “La Malice” sortit de sa besace une pomme et son couteau. Il coupa la pomme en deux bien comme il faut, et, montrant les deux moitiés ouvertes dans ses deux mains, il dit au Démon : 
- Je sais que tu as vu le dedans de bien des pommes, mais avoue que le dedans de celle-ci, tu ne l'avais encore jamais vu. 

Et il tourna le dos, tout content d’avoir berné le Mauvais ange, et prit le chemin du retour sans s’attarder. 

Satan de son côté se mit dans une rage noire. Trop sûr de lui, il n’avait pas vu le coup venir. Il jura de ne plus fréquenter ce coin du Pays Fort, ni les tanneurs d’Henrichemont, ni les gens de La Borne, ce qui après tout lui laissait de la place et tout le reste de la Terre pour faire du mal au pauvre monde… et il repartit avec cette consolation.

> Illustrations du haut vers le bas. Antoine Gorce, dit “La Malice”. Benoit Taillemitte. Le diable.

> Fioler. Boire plus souvent que de raison.

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