Alexandre Thirot, charbounier à La Borne il y a un siècle.

a:Alexandre & Alphonsine Thirot - charbonniers

Les ouvrages historiques de Martine Mallein-Leguédois sur la construction d'Henrichemont, Salomon de la Brosse ou le Grand Sully sont connus de tous ici, mais notre érudite s'intéresse aussi à l'histoire de sa famille. Voici quelques extraits résumés d'un texte qu'elle a eu l'amabilité de me confier, il décrit l'existence d'un de ses ancêtres, Alexandre Thirot, originaire de La Borne et qui était "charbounier" ...j'espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à sa lecture. À cette époque pas si lointaine les forêts n'étaient pas silencieuses comme aujourd'hui, c'était le lieu de multiples métiers : bûcherons, écorceurs, fagoteuses, fendeurs de lattes, fendeurs de merrains, scieurs de long, équarisseurs, rouliers, sabotiers, balaitiers, cercliers, travaillaient et vivaient dans les clairières - souvent en famille. Et n'oublions pas les charbonniers.

" Les charbonniers étaient de grands gaillards forts, musclés et quelque peu noirauds qui, à la fin du dix neuvième siècle et dans la première moitié du vingtième, vivaient de la forêt et menaient une vie rude. Le père Thirot expliquait avec fierté que son propre père possédait une force colossale bien connue du pays puisqu’il était capable de soulever une carriole embourbée et de la remettre sur le bon chemin ! Son fils, Alexandre, partageait sa vie parmi les chênes centenaires, les hêtres, les châtaigniers et les charmes, n’ignorant rien des fourrés et futaies. Amis des potiers, tous deux revenaient fréquemment à la Borne, un Panariou faisait partie de leur famille et ils étaient amis d'Alexandre Foucher membre d'une autre famille de potiers.

Hutte-charbounier

Le charbonnier se construisait une cabane (ou loge) faite de branches, bruyère, mousses, fougères et terre. Comme le dit Maupassant, : "plus de maison : de place en place des huttes de charbonniers…ils vivent là toute l’année, cassant du bois et en le brûlant pour en extraire du charbon, mangeant du pain et des oignons, buvant de l’eau…". Pour Alexandre, ce qui déterminait l’emplacement de la cabane, c’était d’abord la présence d’une source. Ensuite, il ne fallait pas être trop loin de la clairière où seraient installées les meules. La saison de travail débutait en mars avril pour s’achever en octobre, novembre. La vie quotidienne était dure, lui et son épouse Alphonsine travaillaient à certaines périodes vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans la clairière où se trouvaient les meules. Alphonsine s’évertuait à faire un logis commode à vivre et disposait de quelques plats et assiettes. Elle se relayait avec son homme pour surveiller le feu. Pour la nourriture ils élevaient quelques poulets et lapins, mais il fallait être aussi un peu braconnier... Le long des ruisseaux parcourant la forêt, on s’amusait à attraper des écrevisses. Chaque saison leur apportait des mets différents. L’été, merises, poires, pommes, prunes, mûres, recueillies dans les bouchtures, étaient récoltées précautionneusement par les deux cousines Jeanne et Anita, heureuses de rapporter leurs paniers pleins. Quant à l’automne, c’était l’affaire de Léon qui, muni d’un bâton contre les vipères, allait chercher agarics, bolets, cèpes, girolles, ces champignons goûteux ainsi que les châtaignes qui viendraient égayer les plats quotidiens souvent à base de pommes de terre. Il partait seul s’enfonçant dans la forêt ne revenant jamais bredouille. 

Alexandre, le charbonnier, était le maître du feu. C’était une espèce d'alchimiste qui détenait le pouvoir de transformer le bois en charbon, Antoine, son père lui avait transmis le savoir pour obtenir un beau charbon bien dur, compact et sonore. Toute la journée, toute la nuit, comme les autres ouvriers du feu, Alexandre et sa femme pendant quasiment une petite semaine veillaient en continu sur leur précieuse charbonnière, avec "ce grillotement imperceptible, ce pétillis follet qui jouait aux entrailles de la meule et cet élan de flamme qui jaillissait dans le jour" (Maurice Genevoix). 

c: Jean Thirot et son frêre-Charbonniers. - copie

La méthode ancestrale pour faire du charbon de bois est celle de la charbonnière en meule. Le bois à carboniser est enfermé dans un espace clos dont l'étanchéité est assurée par de la terre. Le bois à carboniser peut être récolté petit à petit au fil des mois, empilé en place, et laissé à sécher complètement avant d'être couvert et carbonisé. Cela s'accorde bien avec le mode de vie de notre charbonnier qui peut ainsi ramasser des déchets de bois, des branches, des grumes et les empiler soigneusement en meule à son rythme et en fonction des besoins de sa clientèle. Le moment venu, selon la saison, il couvre la meule de terre et fait son charbon. 

C’est donc sur le terrain, dans une clairière qu’Alexandre choisit l’emplacement adéquat pour constituer sa meule, un espace qu’il défriche avec sa pioche, son râteau à longues dents en bois. Il nivelle et il tasse le sol, sur une surface circulaire horizontale de quatre à six mètres de diamètre. Toute végétation sera éliminée, laissant la terre totalement à nu. Un emplacement de charbonnière en meule peut être réutilisé indéfiniment.

La construction de la meule peut commencer. Un piquet d’environ deux mètres est planté au centre de l’aire pour aider à l’empilage du bois. Une claie formée de rondins entrecroisés d'une dizaine de centimètres de diamètre est disposée sur le sol pour former un cercle. Des morceaux de bois, les plus longs, sont alors disposés verticalement. La meule ainsi construite mesure un mètre cinquante à deux mètres de hauteur et revêt une forme hémisphérique. Bien plantée, on retire le piquet central et on ouvre ainsi une cheminée d'environ vingt centimètres de diamètre au sommet ce qui permettra à la fumée de s'échapper lors de la carbonisation. Cette ouverture est complètée par six à dix entrées d'air ménagées à la base de la meule pour pouvoir réguler la cuisson. 

Alexandre et Alphonsine Thirot

L’ensemble est alors recouvert de feuillages, de terre, de mousse pour empêcher toute prise d’air. Des braises bien rouges sont versées par la cheminée avec du charbon mal cuit et des branchages. Plusieurs meules semblables peuvent être installées à proximité. Le bois rend en moyenne environ le quart de son poids en charbon.

Alexandre procède à l’allumage tôt le matin jetant une pelletée de bois et de charbon enflammés dans le trou au sommet de la meule. La combustion est complète au bout de dix huit heures environ lorsqu’une fumée blanche se dégage après rechargement régulier de bois par la cheminée. Toute fuite d’air se remarque par l’éruption d’une fumée bleue qu’il faut immédiatement colmater en projetant de la terre dessus. Au fur et à mesure que la charbonnière cuit, elle s’enfonce, s’écrase et prend de plus en plus la forme d’un œuf au plat. Après une journée de cuisson le charbounier monte sur la meule avec son échelle pour la piétiner. Il détecte les zones cuites, les zones restées en bois et tasse la couverture et quand le feu sort des trous faits au ras du sol, la cuisson est achevée. Il aura fallu quarante huit heures. 

Le travail se fait alors au râteau, pour enlever la terre. Il faut éteindre le feu et l’étouffer définitivement. Lorsque la meule est refroidie, on peut l'ouvrir en veillant à ce que le feu ne se rallume pas.

Les morceaux de charbon carbonisés sont extraits et roulés dans la terre pour arrêter toute combustion puis séparés du poussier et des charbons mal carbonisés. Dès qu’ils sont froids, on les charge dans des sacs. Le charbon de bois est prêt à être livré. 

Alexandre et Alphonsine vont alors porter le précieux combustible chez leurs clients On les retrouve en livraison à Neuilly-en-Sancerre, à Saint-Martin, à Sancergues…

A cette époque, le charbon est un combustible universel. Il sert comme combustible domestique, pour la cuisson des aliments et le chauffage, mais c'est aussi un combustible industriel. D"énormes quantités de charbon de bois sont utilisées dans les bas-fourneaux (d’où le non de hameau du Fourneau à Ivoy) ainsi que par les forges voisines d’Ivoy-le-Pré. Le charbon de bois par son carbone permettait de réduire les oxydes de fer contenu dans le minerai utilisé."

> Photos, de haut en bas. 1/Alexandre et Alphonsine Thirot, en noir à gauche de l'image. 2/ Une hutte de charbonnier il y a un siècle. 3/Alexandre et Antoine Thirot au travail en 1904. 4/Alexandre et Alphonsine Thirot sur leurs vieux jours, à La Borne.

> Quelques ouvrages de Martine Mallein-Leguédois.

Souvenirs d'une famille bornoise à la "Belle époque".

L'architecte et sa reine. Roman. Éditions L’Harmattan.

Carnets d’Histoire de la Principauté de Boisbelle.

Numéro 1. L'entrevue manquée de Sully.

Numéro 2. Les artisans de la construction de la ville nouvelle d'Henrichemont.

Numéro 3. Le docteur Muraour, médecin de Napoléon premier.

Numéro 4. Les condottieres italiens de la Renaissance et Charles de Gonzague.

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